DROIT PÉNAL / PROCÉDURE PÉNALE

 

QUEL CADRE LÉGAL POUR L’IDENTIFICATION D’UN SUSPECT PAR PRÉLEVEMENTS EXTERNES OU BIOLOGIQUES ?

 

L’objet principal du présent article est d’informer nos interlocuteurs de leurs droits en matière de prélèvements externes ou biologiques réalisés parles services d’enquête, quand ils font l’objet à titre personnel d’une garde à vue ou d’une audition libre.  

 

Les services d’enquête (Gendarmerie/police/douane) disposent de plusieurs moyens pour identifier un individu soupçonné d’avoir commis une infraction, parmi lesquels les opérations de « prélèvements externes » aussi appelés« relevés signalétiques » et les opérations de « prélèvements biologiques ».

 

Les prélèvements externes renvoient à la prise d’empreintes et de traces digitales, palmaires ou de photographies. Les prélèvements biologiques renvoient aux prélèvements génétiques (ADN).

 

Ces divers prélèvements ont vocation à alimenter certains fichiers des enquêteurs, en particulier le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales(FAED) et le Fichier National des Empreintes Génétiques (FNAEG).

 

Ils font l’objet d’un cadre juridique structuré au sein de divers textes et alimenté par une jurisprudence évolutive.

 

Les fichiers FAED (I) et FNAEG (II) seront présentés.

  

Puis, sera exposée l’évolution récente de la jurisprudence relative aux délits de refus des prélèvements biologiques ou externes – cf. art.706-56 et 55-1 du code de procédure pénale – ci-après « CPP »(III).

 

I.                Le FAED

 

1.     A quoi sert le FAED ?

Le FAED a été créé par le Décret n° 87-249 du 8 avril 1987 modifié. Il a vocation à traiter de façon automatisée les relevés signalétiques - traces et empreintes digitales et palmaires, permettant de faciliter la recherche et l'identification[1], notamment :

 

-     des auteurs de crimes et de délits, la nouvelle rédaction issue du décret n° 2015-1580 du 2 décembre 2015 excluant de fait les auteurs de contraventions ;

 

-     des personnes décédées ainsi que celle des personnes découvertes grièvement blessées dont l'identité n'a pu être établie, dans un cadre judiciaire.

 

Peuvent y être enregistrées, entre autres, les empreintes digitales et palmaires relevées dans le cadre d’une enquête judiciaire :

 

-       sur une personne contre laquelle pèsent des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’un crime ou d’un délit ;

 

-       sur les personnes mises en cause dans une procédure pénale, dont l’identification certaine s’avère nécessaire[2].

 

La consultation du FAED est également autorisée pour permettre l’identification des personnes ne pouvant ou ne voulant justifier de leur identité, à l'occasion d'une vérification d'identité[3].

 

Précisons que la personne physique entendue par les enquêteurs en qualité de représentant légal de la personne morale ne peut faire l’objet de prélèvements.

 

Ce point est confirmé en doctrine[4],laquelle relève : « Ainsi, les opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d'examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l'enquête (CPP, art. 55-1 et 76-2) sont inconcevables sur une personne morale. La mesure concernant les personnes suspectées, elle ne pourrait être pratiquée sur le représentant légal de la personne morale que si ce dernier était lui-même considéré comme auteur possible des faits ».

  

2.     Combien de temps sont conservées les informations enregistrées sur le FAED ?

 

Les informations enregistrées sont conservées pendant une durée maximale de 15 ans depuis le D. n° 2015-1580 du 2 déc. 2015 précité en vigueur depuis le 1er mars 2017 (versus la durée de conservation de 25ans maximum avant le décret).

 

Les empreintes et informations sont effacées de plein droit en cas de décision de relaxe ou d’acquittement définitive, ainsi qu’encas de non-lieu ou de classement sans suite, sauf avis contraire du procureur de la République.

 

3.     A quels stades de la procédure ces relevés signalétiques peuvent-ils être réalisés par les enquêteurs ?

 

-       dès le stade de l’enquête de flagrance (cf. CPP, art. 55-1, al. 2) ;

 

-       au stade de l’enquête préliminaire, y compris dans le cadre d’une audition libre (cf. CPP, art. 76-2, al. 2) ;

 

-       au stade de l’information judiciaire (cf. CPPA, art. 154-1).

 

4.     L’individu suspecté a-t-il le droit de refuser de se soumettre aux opérations de prélèvements externes ?

 

La loi prévoit que le refus, par une personne contre laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de prélèvement externe est constitutif d'un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 15. 000 € d'amende[5].

  

5.     Dans quel cadre les services de polices peuvent-ils contraindre l’individu suspecté à se soumettre aux relevés signalétiques ?

 

Selon la loi[6], lorsque la prise d'empreintes digitales ou palmaires ou d'une photographie constitue l'unique moyen d'identifier une personne qui est entendue en application des articles 61-1 ou 62-2 du CPP[7]pour un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, cette opération « peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d'une demande motivée par l'officier de police judiciaire [« OPJ »]. L'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée (…) ».

 

Cette opération est documentée dans un procès-verbal, qui mentionne notamment les raisons pour lesquelles elle constitue l'unique moyen d'identifier la personne.

 

Précisons que, dans le cadre de l’information judiciaire, l’autorisation est donnée par le juge d’instruction - et non plus par le procureur de la République[8].

 

II.              Le FNAEG

 

1.     A quoi sert le FNAEG ?

 

Le FNAEG a été créé par la loi du 15 novembre 2001 pour centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques[9]des personnes déclarées coupables de l'une des infractions de l'article706-55 du CPP - savoir : la plupart des infractions sexuelles et des infractions contre les personnes (homicide et violences volontaires…)et contre les biens (vol, escroquerie aggravée…) et des infractions contre l'État, la Nation et la paix publique - en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs de ces infractions ainsi que des personnes disparues ou décédées de manière suspecte.

 

Les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 du CPP sont également conservées dans ce fichier sur décision d'un OPJ agissant soit d'office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction[10].

 

Le FNAEG est aussi alimenté par les traces laissées sur les scènes de crime par des personnes non enregistrées au fichier.

 

La finalité de principe du fichier est le rapprochement direct des empreintes génétiques d’une même personne.

 

Le décret n° 2021-1402 du 29 octobre 2021 modifie les dispositions réglementaires relatives au FNAEG dans le Code de procédure pénale.

Sont ainsi mises à jour notamment les durées de conservation des données du FNAEG et le dispositif d'effacement de ces données.

 

2.     Combien de temps sont conservées les informations du FNAEG ?

 

Les durées de conservation « de droit commun » du FNAEG ont été réduites par le D. n° 2021-1402 précité, sauf pour une liste d’infractions les plus graves (crimes contre l’humanité, tortures, etc.).

 

Les durées de conservation sont fixées par l’art. R. 53-14 du CPP et varient selon l’origine de l’échantillon (suspect, personne condamnée…).  

 

Le CPP encadre la possibilité de demander l’effacement anticipé des données du FNAEG.

 

3.     A quels stades de la procédure les prélèvements biologiques peuvent-ils être réalisés par la police ?

 

L’OPJ peut procéder ou faire procéder, sous son contrôle, au prélèvement biologique « quel que soit le cadre d’enquête, l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction n’étant plus nécessaire ».

 

Ces magistrats « peuvent également requérir toute personne habilitée pour effectuer ce prélèvement »[11].

 

4.     L’individu suspecté a-t-il le droit de refuser de se soumettre aux opérations de prélèvements biologiques ?

 

L’article 706-56, II. du CPP prévoit que : « le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I. est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

 

5.     Dans quel cadre les services de polices peuvent-ils contraindre l’individu suspecté à se soumettre aux prélèvements biologiques ?

 

Selon le texte précité (al. 5) : « lorsque qu’il s’agit d’une personne condamnée pour crime ou déclarée coupable d’un délit puni de 10 ans d’emprisonnement, le prélèvement peut être effectué sans l’accord de l’intéressé sur réquisitions écrites du procureur de la République (…) ».

 

III.             Quel est l’état de la jurisprudence relative aux délits de refus des prélèvements biologiques ou externes – art. 706-56 et55-1 du CPP ?

 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a fait un temps une application stricte et systématique des art. 706-56 et 55-1 CPP en cas de refus de se soumettre aux prélèvements biologiques ou externes.

 

Néanmoins, dans ses décisions les plus récentes, elle infléchit visiblement sa position.

 

Dans un premier temps, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui avait relaxé un prévenu du délit de refus de prélèvement d’empreintes au motif de l’atteinte disproportionnée à son droit au respect à la vie privée.

 

La Chambre criminelle considérait en effet que le prévenu « avait la possibilité concrète, en cas d’enregistrement de son empreinte génétique au fichier, d’en demander l’effacement »[12].

 

Par ailleurs, une décision du 28 octobre 2020 a tranché que le délit de l’article 706-56 du CPP était constitué y compris pour les prévenus relaxés de l’infraction à l’occasion de laquelle ils ont refusé le prélèvement génétique.

 

Dans cet arrêt, la Chambre criminelle[13]avait retenu que « la relaxe de l’infraction pour laquelle le prélèvement a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre à ce prélèvement ».

 

Elle a pu également rejeter l’argument d’une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée « dès lors que le demandeur a été reconnu coupable de l’infraction de dégradations volontaires aggravées en récidive (…) »[14].

 

Toutefois, dans des arrêts plus récents, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence.

 

En effet, par une décision du 22 septembre 2021, elle a approuvé une Cour d’appel qui avait relaxé les prévenus de ce chef au motif de « la disproportion entre, d'une part, la faible gravité objective et relative du délit dont les intéressés étaient soupçonnés au moment de leur refus de se soumettre au prélèvement litigieux et, d'autre part, l'atteinte au respect de la vie privée consécutive à l'enregistrement au FNAEG »[15].

 

En l’occurrence, les prévenus étaient mis en cause pour des vols « commis dans un contexte non crapuleux mais dans celui d'une action politique et militante, entreprise dans un but d'intérêt général ».

  

Dans cette affaire, les juges ont ainsi contrôlé si l’atteinte portée à la vie privée des prévenus à raison des opérations de prélèvements, était ou non proportionnée au regard des faits reprochés.

 

Il s’agit là d’un « contrôle de proportionnalité » opéré par les juges français, sous l’impulsion de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)[16].

 

La Chambre criminelle a donc vraisemblablement infléchi sa jurisprudence. Cette analyse est confortée par la doctrine qui relève que : "D'autre part, s'agissant du contrôle de proportionnalité, [l’arrêt précité] pourrait manifester une évolution par rapport à des décisions antérieures"[17].

 

Dans un arrêt ultérieur, la Cour de cassation a considéré que la faculté d’un suspect à demander l’effacement de ses empreintes génétiques dans le FNAEG« n’interdit pas au juge du fond de procéder au contrôle de proportionnalité d’une telle mesure »[18].

 

Enfin, tout récemment, un arrêt majeur [19]-publié au Bulletin- est venu consacrer l’évolution de la position de la Cour de cassation sur le sujet.

 

La Chambre criminelle fait en effet directement référence à sa décision précitée du 22 septembre 2021 tout en ajoutant que « la même solution doit être retenue lorsqu’est en cause l’application de l’article 55-1, al. 2 du code de procédure pénale, dont l’objet est la constitution de fichiers ».

  

Etaient en cause, dans cette affaire, les mêmes faits de vols sur fond d’action politique et militante - vols des portraits du Président de la République par des membres d’association pour l’environnement dans des mairies, en signe de protestation pour lutter contre les changements climatiques.

 

Ainsi, la Cour de cassation « étend, sans surprise, à l’article55-1, alinéa 2, les solutions qu’elle avait précédemment retenues pour le délit de l’article 706-56, ces deux textes se rapportant à la constitution d’un fichier »[20].

 

En conséquence, il n’existe pas de « droit » de refuser de se soumettre aux opérations de prélèvements externes ou de prélèvements biologiques, un tel refus pouvant être constitutif d’un délit aux termes des articles précités.

 

Néanmoins, au regard de l’état le plus récent de la jurisprudence, si le juge entend faire application des articles 55-1, al. 2, et 706-56 CPP dans une affaire donnée, alors il doit contrôler si l’atteinte à la vie privée que causerait un enregistrement au FAED ou au FNAEG est ou non proportionnée à la gravité de l’infraction reprochée. Dans la négative, le prévenu pourrait être relaxé de ce chef.

 

Nous espérons que ces précisions apporteront l’éclairage (et peut-être l’apaisement) nécessaire aux personnes qui se retrouvent en garde à vue ou en audition libre dans le cadre de nos dossiers de « risques industriels » quand ils font l’objet de poursuites judiciaires.

  


[1] Cf. art. 1 du décret no 87-249 du 8 avril 1987modifié.

[2] Cf. art. 3 du décret précité.

[3] Cf. CPP, art. 78-3

[4]Cf. JurisClasseur LexisNexis Procédure pénale - Encyclopédies - Art. 706-41 à706-46 - Fasc. 20, Jean-Yves Maréchal.

[5] Cf. CPP, art. 55-1

[6] Cf. CPP, art. 55-1 précité, dernier alinéa

[7] Cf. CPP, art. 61-1 qui se réfère au régime de l’audition libre et CPP, art. 62-2 qui se réfère au régime de la garde à vue.

[8] Cf. art. 154-1 al. 2 CPP.

[9] Les analyses ne peuvent être réalisées qu’à partir de segments d’ADN non codants, à l’exception du segment correspondant au marqueur de sexe (cf. CPP, art. 706-54 et art. R.53-13).

[10] Cf. CPP, art. 706-54 précité.

[11] Cf. Guide Dalloz des infractions, 24èmeéd., J.-C. CROCQ et CPP., art. 706-56.

[12] Cf. Crim. 15 janv. 2019, n°17-87.185, P

[13] Cf. Crim. 28 oct. 2020, n° 19-85.812.

[14] Cf. Crim. 3 mars 2021, n°19-86.847

[15] Cf. Crim, 22 septembre 2021, n° 20-80.489,Publié.

[16] Cf. CEDH, 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, req. N°8806/12. La CEDH avait sanctionné la France en estimant que dans certains cas, les textes français conduisant à une condamnation pour refus de prélèvement pouvaient constituer une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée.

[17] Cf. Revues LexisNexis - Droit pénal n° 12 du1er décembre 2021 - Vie privée - Refus de se soumettre à un prélèvement biologique - Commentaire par Philippe Conte.

[18] Cf. Crim. 12 oct. 2021, n° 21-81.728.

[19] Cf. Crim. 29 mars 2023, n°22-83.458, Publié.

[20] Cf. Revues LexisNexis - Droit pénal n° 6, juin 2023 -Refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques - Commentaire par Philippe Conte.