PANORAMA PRESSE
· Diffamation versus dénigrement
Dans un arrêt du dernier trimestre 2023, la Cour de cassation a utilement rappelé que la publication de communiqués entachant la réputation d’une société et non ses produits ou ses services relevait de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 incriminant la diffamation, et non du dénigrement (Civ. 1ère 18 octobre 2023, n° 22-20.428).
Dans cette affaire, une société en litige avec l’un de ses cocontractants, avait mis en ligne sur son site internet des communiqués imputant à ce cocontractant d'avoir commis une escroquerie à un jugement et d’avoir menti aux juridictions françaises et aux investisseurs en bourse.
Le cocontractant estimant ces communiqués dénigrant, l’a assigné en référé aux fins de les voir supprimés, demande à laquelle il a été fait droit.
La Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé aux motifs que ces propos consistaient à répandre des informations péjoratives sur le cocontractant en concurrence directe avec la société à l’origine des communiqués, à la décrier ouvertement et à rabaisser sa renommée dans l'esprit de la clientèle ou encore à la discréditer et qu'ils étaient donc constitutifs de dénigrement au sens de l'article 1240 du code civil.
La Haute Juridiction censure l’arrêt au visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et d’un attendu clair : « il résulte de ce texte qu'une atteinte à la réputation d'une personne physique ou morale, qui est constitutive de diffamation, ne peut relever que des dispositions de la loi susvisée ».
Elle avait déjà rappelé ce principe dans un arrêt du 28 juin dernier (n°21-15.862) : « la divulgation par une entreprise à ses clients que sa concurrente est l'objet d'actions judiciaires pour des malversations, qui constitue l'imputation de faits précis et déterminés portant atteinte à son honneur et à sa considération, ne peut être poursuivie qu'en application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
Elle avait ainsi confirmé un arrêt qui, pour rejeter une action fondée sur l’article 1240 du code civil, avait retenu à bon droit que « l’action en réparation de la société Winkhaus qui portait sur des imputations portant atteinte à son honneur et à sa considération, était soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 »et qu’elle était donc prescrite.
La qualification des propos a une importance majeure compte tenu de la courte prescription de l’action en diffamation qui est de trois mois.
La diffamation peut en outre être justifiée par la bonne foi.
· Bonne foi du lanceur d’alerte
Le lanceur d’alerte peut être poursuivi pour diffamation. Mais comme dans toute action en diffamation, il peut se prévaloir de sa bonne foi.
Par un arrêt du 5 septembre2023 (n° 22-84.763), la Haute Juridiction a ainsi censuré, pour défaut de motifs, un arrêt qui avait déclaré un lanceur d’alerte coupable de diffamation en lui refusant le bénéfice de la bonne foi.
Elle a, à cette occasion, rappelé de manière limpide les modalités d’appréciation des quatre critères de la bonne foi : « lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient au juge de rechercher, en premier lieu, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de légitimité du but de l'information et d'enquête sérieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement les critères de l'absence d'animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l'expression ».
Elle a ainsi clairement exprimé la méthodologie à suivre dans l’appréciation des quatre critères de la bonne foi, qu’elle avait déjà esquissé dans des arrêts antérieurs (v. notamment : Crim., 21 février 2023, n°22-81.747 ; Crim., 7 janvier2020, n°18-85.620 ; Crim., 21 avril 2020, n°19-81.172) : si les deux premiers critères à examiner, qui sont ceux du débat d'intérêt général et de la base factuelle suffisante, sont réunis, les critères de l'absence d'animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l'expression, devront être appréciés « moins strictement ».
Dans ce nouvel arrêt, la Haute Juridiction précise également que les notions européennes de débat d'intérêt général et de base factuelle suffisante recouvrent « celle de légitimité du but de l'information et d'enquête sérieuse ».
Néanmoins, les risques de diffamation dans le cadre d’alertes, de communication, ou de rapports ne vont passe tarir compte tenu des obligations de plus en plus strictes qui pèsent sur les entreprises en termes de RSE.
· Diffamation, dénigrement ou dénonciation calomnieuse à travers les publications obligatoires ?
Les grandes entreprises sont assujetties à la publication d’informations extra-financières[1],et d’information en matière de durabilité[2],et bientôt, à faire rapports sur les questions couvertes par le devoir de vigilance.
En effet, le 14 décembre dernier, un accord sur la directive relative au devoir de vigilance a été trouvé entre les trois institutions européennes : le Parlement, la Commission et le Conseil de l’UE.
Le projet de directive sur le devoir de vigilance tel qu’il a été proposé par la Commission prévoit notamment que les Etats membres veillent à ce que :
- « les entreprises qui ne sont pas soumises aux obligations de déclaration prévues aux articles 19 bis et 29bis de la directive 2013/34/UE fassent rapport sur les questions couvertes par la présente directive en publiant sur leur site web une déclaration annuelle dans une langue usuelle dans le domaine des affaires internationales. (…) », étant précisé que la directive couvre les rapports des entreprises avec ses partenaires commerciaux desquels l’entreprise s’efforce d’obtenir des garanties ;
- « les personnes physiques et morales aient le droit de présenter des rapports étayés faisant état de préoccupations à toute autorité de contrôle lorsqu’elles ont des raisons de penser, sur la base de circonstances objectives, qu’une entreprise ne se conforme pas aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive (ci-après les « rapports étayés faisant état de préoccupations»). »
Les publications qui interviendraient sur la base de ces obligations pourraient relever du régime du droit de la presse, notamment de la diffamation, ou de la concurrence déloyale pour dénigrement, ou du droit pénal, notamment de la dénonciation calomnieuse.
Il conviendra donc de veiller à la manière dont les rapports et signalements sont rédigés, en fonction des informations effectivement recueillies par l’entreprise, afin de ne pas mettre l’entreprise ne risque à travers ces publications.
[1] Directive2014/95/UE du parlement européen et du conseil du 22 octobre 2014
[2] Directive(UE) 2022/2464 du parlement européen et du conseil, du 14 décembre 2022