Le 7 décembre 2022, le groupe de travail dédié au droit pénal de l’environnement présidé par François Molins, procureur général près la Cour de cassation, a présenté les conclusions de son rapport sur le traitement pénal du droit environnemental.

Ce groupe de travail pluridisciplinaire, composé de magistrats, d’avocats et de professeurs d’université avait pour mission d’évaluer l’état actuel du contentieux pénal de l’environnement, notamment à la suite des réformes de ces dernières années.

Il formule 13 recommandations afin d’améliorer le traitement de ce contentieux dont les outils ne cessent de se multiplier, mais qui continue de n’occuper qu’une part minime de l’activité de sjuridictions pénales (entre 0,5% et 1%) et dont le nombre d’infractions porté devant les tribunaux correctionnels est en baisse.

 

I/ Le paradoxe vert

 

En effet, ces dernières années les outils de répression pénale ont été multipliés en matière de droit environnemental.

L’ordonnance du 11 janvier 2012 a mis en place une transaction pénale en matière de délits environnementaux[i]. A l’origine prévue pour les seuls domaines de l’eau, de la pêche et des parcs nationaux, elle a été étendue par la loi du 8 août 2016 à l’ensemble des infractions présentes dans le Code de l’environnement.

 

La loi du 24 décembre 2020 a créé dans le ressort de chaque cour d’appel un pôle régional spécialisé en matière d’atteinte à l’environnement en charge des contentieux complexes. Surtout, la loi du 24 décembre 2020 a créé la convention judiciaire d’intérêt public (CJIPE) en matière environnementale[ii].

On peut également citer le référé pénal environnemental devant le juge des libertés et de la détention qui permet d’ordonner, pour une durée maximale d'un an, des mesures conservatoires pour faire cesser une pollution ou limiter ses effets.

En dépit de ces moyens, il ressort de l’analyse du groupe de travail que le taux de classement sans suite et le taux d’abandon des poursuites en cours de procédures sont plus élevés en matière environnementale que pour la moyenne des délits.

En outre, 75% des affaires environnementales font l’objet de mesures d’alternatives aux poursuites.

Le rapport nous apprend également que les condamnations en matière environnementale font de plus en plus l’objet d’ordonnances pénales et de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), pendant que les jugements correctionnels se font moins courants depuis une vingtaine d’année.

Enfin, le rapport met en lumière deux autres faiblesses du droit pénal environnemental. D’une part la lenteur des procédures, qui s’expliquerait par la rareté du contentieux et leur technicité et d’autre part, un quantum de peines prononcées relativement faible. Sur ce dernier point, le rapport indique que (i) 8 fois plus de dispenses de peines sont prononcées en matière environnementale ; (ii) 71% des sanctions prononcées sont des amendes ; (iii) les peines d’emprisonnement ne représentent que 14% des sanctions, ces peines étant, dans leur majorité de courte durée et assorties d’un sursis.

Ces constats s’expliquent principalement, selon le rapport, par le manque de moyen dont dispose la justice pénale environnementale et une spécialisation insuffisante des acteurs judiciaires.

Fort de ces constats, le groupe de travail formule 13 recommandations axées autour de 3 grands thèmes :

 -      l’amélioration de la coordination et du dialogue des différents acteurs du contentieux ;

 -      la modification de l’organisation judiciaire au service de l’efficacité du traitement du contentieux de l’environnement ;

 -      l’amélioration de la réponse pénale et de son suivi.

 

II/ L’amélioration de la coordination et du dialogue des différents acteurs du contentieux

 

Sur ce premier thème la groupe de travail fait le constat, (i) d’un contentieux environnemental éclaté entre plusieurs directions de la Chancellerie sans instance transversale pour en piloter la gestion, (ii) d’un manque de formation spécialisée entre les différents intervenants de la chaine judiciaire, (iii) d’un manque de coopération entre les services et d’une coordination insatisfaisante entre les acteurs judiciaires et l’administration, (iv) d'un suivi de l’exécution des sanctions dysfonctionnel et (v) d’une pluralité des services d’enquêtes ayant une compétence environnementale ne facilitant pas l’identification pour les magistrats, de l’interlocuteur compétent.

 

Afin de remédier à ces difficultés, le groupe de travail formule les 5 recommandations suivantes :

 -      la mise en place d’une mission au sein de la Chancellerie sur le traitement civil et pénal du contentieux de l’environnement ;

 -      le renforcement de la formation de l’ensemble des acteurs du contentieux de l’environnement ;

 -      la création de comités opérationnels à géométrie variable regroupant les acteurs du contentieux de l’environnement ;

 -      l’instauration d’une autorité administrative indépendante en charge du contrôle et du suivi des sanctions en matière environnementale ;

 -      la création d’un service national d’enquête.

 

III/ La modification de l’organisation judiciaire au service de l’efficacité du traitement du contentieux de l’environnement

 

En ce qui concerne l’organisation judiciaire, le groupe de travail a identifié 3 grandes difficultés dans le système actuel : (i) la faiblesse de la transmission des informations entre les différentes juridictions compétentes, (ii) le manque de spécialisation des juridictions au traitement du contentieux environnemental, (iii) des procédures de référés existantes insuffisantes alors que la matière environnementale se caractérise souvent par l’urgence et (iv) l’absence de compétence du parquet européen.

 Le groupe de travail recommande donc :

 -      de mettre en place un dispositif de remontées d’informations obligatoires aux pôles régionaux environnementaux (PRE) ;

 -      la mise en place d’une juridiction environnementale à compétence civile et pénale ou des pôles spécialisés au sein des formations de jugement ;

 -      de renforcer l’efficacité des procédures de référé et plus particulièrement du référé environnemental par la création d’un référé unique pour prévenir et faire cesser les dommages environnementaux sans distinction entre la matière civile et pénale ;

 -      d’étendre la compétence du parquet européen à la matière environnementale.

  

IV/ L’amélioration de la réponse pénale et de son suivi

 

Le groupe de travail conclut son rapport en exposant ses préconisations pour améliorer la réponse pénale aux infractions environnementales.

En effet, il ressort de l’analyse du groupe de travail : (i) un traitement insatisfaisant des infractions les moins graves, (ii) l’inadaptation de l’infraction de mise en danger à la matière environnementale, (iii) ainsi que des procédures de saisies et de confiscations et (iv) la nécessité d’une répression au niveau européen des atteintes à l’environnement compte-tenu de leur nature transfrontalière pour certaines et de leur impact.

 Pour remédier à ces écueils le groupe de travail préconise :

 -      le recrutement des délégués spécialisés du procureur et de créer des assistants spécialisés en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement ;

 -      la redéfinition de l’infraction de mise en danger en matière environnementale ;

 -      l’adaptation des procédures de saisies et de confiscation aux infractions environnementales ;

 -      l’encouragement à recourir à la convention judiciaire d’intérêt public environnementale (CJIPE).

 Même s’il est peu probable que l’ensemble des recommandations formulées par le groupe de travail soient adoptées, elles donnent tout de même une esquisse des évolutions futures de la matière.

 Par exemple, il est fort probable qu’à l’instar des dossiers de manquements à la probité, le recours à la CJIP (ici CJIPE) se multiplie. Ce système qui permet de mettre un terme aux poursuites en coopérant avec le parquet est plébiscité par les entreprises et semble particulièrement adapté à la matière environnementale. En effet, l’accord conclu va prévoir une mise en conformité des actions de l’entreprise avec les obligations du code de l’environnement à travers un programme de mise en conformité et la réparation du préjudice écologique avec le versement d’une amende dont le montant est « fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffre d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements »[1].

Ainsi la CJIPE va permettre un traitement nettement plus rapide et efficace du contentieux environnemental.

 Également, la justice européenne devrait prendre une place plus importante dans ce contentieux spécifique dès lors que les atteintes à l’environnement peuvent être transfrontalières et lucratives. En effet, selon un rapport de 2018 du programme des Nations Unies pour l’environnement et d’Interpol, la criminalité environnementale génèrerait entre 110 et 281 milliards de dollars par an. Ceci en ferait la troisième activité illicite la plus lucrative après le trafic de stupéfiants et le trafic de produits contrefaits [2].


[1] article 41-1-3 du code de procédure pénale

[2]« Interpol célèbre le dixième anniversaire de la lutte contre la grande criminalité environnementale organisée », 23 novembre 2020, site internet d’Interpol.


[i] article L. 173-12 du code de l’environnement

[ii] article 41-1-3 du code de procédure pénale