Il y a de l’agitation procédurale en cette période de confinement… : des syndicats viennent de porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui dans plusieurs dossiers mettant in fine en cause les personnes morales que sont AMAZON, CARREFOUR, AML SYSTEM….d’autres risquent de suivre.
Le propos de la présente note n’est pas de débattre, sur un plan strictement juridique, du choix de porter plainte pour mise en danger d’autrui au sens des articles 121-3 et 223-1 du Code pénal. En effet, sur ce point, il y a matière à débattre : Quid du ou des textes spécifiques et non généralistes de l’obligation de prudence ou de sécurité ? L’art. R4422-1 du code du travail visant les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques est-il suffisant même si le SARS COV-2 est assurément un « agent biologique » puisque c’est un virus ? L’article 2 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’hygiène et de distanciation sociale répondra-t-il exactement aux besoins de la poursuite ? Quid du lien de cause à effet entre la présence sur le lieu du site de production de l’industriel ou le lieu de l’entrepôt par exemple, et le risque de contraction du Covid-19, alors que le virus peut tout autant se transmettre dans les transports et/ou en famille vu son mode de propagation ?
De même, la présente note n’a pas pour ambition de déterminer si le Covid-19 peut- être qualifié de « maladie professionnelle » ou « d’accident du travail » questions que devront trancher les juridictions saisies prochainement.
La présente note ne vise qu’à prendre acte de l’existence de ces plaintes pour « mise en danger de la vie d’autrui » et de recenser en pratique les moyens de s’en défendre pour une entreprise « responsable » (au sens ici de respectueuse de la santé de ses salariés).
1. Rappel des textes applicables :
L’art. 121-3 du Code pénal dans ses deux premiers alinea dispose :
« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.
L’art. 223-1 du Code pénal dispose : Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
2. Les obligations pratiques de l’Employeur Vis-à-vis de ses salariés exposés au risque de contamination par le SARS Cov-2 (type de coronavirus) qui provoque le Covid 19 (maladie dédiée).
Nous synthétisons les obligations pratiques que doit mettre en œuvre l’Industriel sur trois axes primordiaux afin de pouvoir en justifier à première demande de la DIRECCTE et/ou du Parquet : (i) les règles de prévention de la contamination édictées par le Décret n° 2020- 293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire qui sont reprises sur le site du Ministère du travail ; (ii) L’actualisation du DUER (Document Unique d’Evaluation des Risques) ; (iii) La prise en compte des nouvelles règles pour l’intervenant extérieur dans le cadre du plan de prévention.
(i) Les règles de prévention de la contamination
Chaque employeur industriel (nous visons les industriels car ce sont nos interlocuteurs quotidien, mais bien sûr la règle vaut pour tout employeur) doit mettre en œuvre pour la protection de ses salariés les règles suivantes : ré-évaluer dans un plan les risques auxquels sont exposés les salariés sur son site ; généraliser le télétravail pour les postes externalisables sans danger pour les postes sur site ; Préciser les mesures à respecter pour les salariés présents sur site ; Préciser les mesures à prendre en cas de contamination ou suspicion de contamination sur site ; Réviser les règles de nettoyage des locaux, sols et surfaces ; Prendre en compte les situations de travail particulières à chaque site de production et à chaque poste de travail ; Associer à ce travail les représentants du personnel (CSE) ; Solliciter quand c’est possible le service de médecine du travail qui a pour mission de conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants et, à ce titre, de préconiser toute information utile sur les mesures de protection efficaces ; Repenser pratiquement l’organisation du travail et ce faisant les règles de distanciation et les gestes barrière qui doivent impérativement être respectées ; Limiter au strict nécessaire les réunions et bannir les espaces réduits ; Annuler ou reporter les déplacements non indispensables ; Adapter l’organisation du travail avec une rotation non croisée si possible des équipes.
La mise en œuvre effective de ces règles et leur recensement dans un document à remettre à la DIRECCTE ou au Parquet, contribuera fortement à rapporter la preuve du respect par l’employeur des règles lui incombant.
(ii) L’actualisation du DUER
En cas d’accident du travail et/ou de maladie professionnelle, le DUER est un outil essentiel dont les enquêteurs sollicitent la communication. Or trop souvent l’on constate une absence d’actualisation de ce document. Dans le cadre de la prévention de la contamination du Covid-19, il est impératif pour chaque site de production de penser à actualiser ce DUER. Des exemples d’actualisation spécial anti Covid-19 sur internet sont déjà pléthore. Il ne suffit plus en conséquence que de compléter son DUER afin de pouvoir en justifier auprès des services d’enquête le cas échéant.
(iii) L’importance du plan de prévention
En temps normal, on sait déjà que nombre d’accidents du travail résultent soit d’une trop grande habitude lors de la pratique d’un acte pourtant dangereux (absence de prudence par excès de confiance), soit d’une co-activité avec une entreprise extérieure, faute de mise en œuvre d’un plan de prévention efficace.
C’est sur ce dernier point qu’il faut particulièrement se montrer vigilent en cette période de contamination active. L’article R4512-6 du code du travail pose un principe clair : pour toute intervention d’entreprises extérieures au sein d’une entreprise utilisatrice, celle-ci doit organiser au préalable une inspection commune des lieux d’interventions avec toutes les entreprises extérieures qui seront appelées à intervenir, dont les prestations de services, comme le nettoyage ou la maintenance d’équipement qui sont importantes au sein des usines.
Au cours de l’inspection commune, les représentants de l’entreprise extérieure et de l’entreprise utilisatrice devront donc prévoir, en sus de l’identification classique des dangers pour les travailleurs, les règles spécifiques de lutte contre la contamination du SARS Cov-2 mis en œuvre au sein de l’usine.
Conclusions : Le meilleur moyen pour l’employeur de mettre en échec une poursuite pénale pour « mise en danger de la vie d’autrui » (mais ceci vaut bien entendu en cas de poursuites pour blessures ou homicide involontaires), est de pouvoir justifier vis-à-vis des autorités de la mise en œuvre effective de l’arsenal des règles de prévention et de protection pour protéger ses salariés. Plus tôt il sera en mesure de le faire et plus tôt la plainte déposée et/ou l’auto saisine du service enquêteur ou du Parquet aura des chances d’être classée.
A défaut, il s’expose (légitimement d’ailleurs si l’employeur n’a pas pris les meures de protection nécessaire) à des poursuites puis à un jugement qui devra éclaircir les modes de réparation envisagée, notamment en termes de « faute inexcusable ».
C’est avec avantage que l’employeur pourra compléter la mise à jour de ses process de prévention/protection en consultant la note exemplaire de l’ANSES (Prévention de l’exposition au virus SRAS-CoV-2 en milieu professionnel autres que ceux des soins et de la santé. https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2020 SA0046.pdf ).