Dans quelles conditions invoquer la force majeure ? Que faire si elle ne s’applique pas ? Imprévision ? Obligation de loyauté ?
1. Première vérification : que dit votre contrat sur la force majeure ?
Indépendamment de ce que la loi prévoit, la force majeure peut être aménagée contractuellement, tant dans son champ d’application (cas, conditions) que dans sa mise en œuvre. Il est donc impératif de vérifier ce que prévoit le contrat s’agissant des conditions de la force majeure, des cas prévus ou exclus et des modalités de sa mise en œuvre.
2. Les conditions légales de la force majeure.
Trois conditions cumulatives :
- Extériorité : L’évènement échappe au contrôle du débiteur.
- Imprévisibilité : L’évènement n’était pas raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat.
- Irrésistibilité : Le débiteur est dans l’impossibilité totale d’exécuter son obligation, l’inexécution ne pouvant être évitée par des mesures appropriées.
3. Bien considérer l’obligation non exécutée et non la situation dans son ensemble.
Pour savoir si l’exécution d’une obligation est rendue impossible par un évènement, il faut bien identifier l’obligation concernée.
A titre d’exemples :
- La réalisation d’une prestation impliquant nécessairement une rencontre à moins d’un mètre ou un contact physique est rendue impossible par les mesures de distanciation sociale imposées par l’Etat ;
- La production d’un spectacle est rendue impossible en présence d’une interdiction administrative d’exploitation des salles de spectacle ;
- L’inexécution par le bailleur de son obligation de garantir au preneur la jouissance paisible d’un local commercial, dont l’activité prévue au bail est provisoirement interdite pendant la crise sanitaire, constitue également un cas de force majeure.
En revanche, les obligations de fabrication ou de fourniture de biens méritent une appréciation au cas par cas, afin de vérifier si des mesures appropriées peuvent être prises rendant possible l’exécution de l’obligation dans le respect des règles d’hygiène et de distanciation sociale imposées par l’Etat (port de masque, maintien d’une distance de sécurité entre les personnes).
4. Quand la force majeure ne s’applique pas : l’imprévision.
L’article 1195 du code civil dispose :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Ces dispositions ne sont applicables qu’aux contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016 qui n’ont pas expressément écarté leur application.
Ainsi, sur ce fondement, toute entreprise pourrait solliciter la renégociation d’un contrat en justifiant de ce que la crise sanitaire perturbe l’économie du contrat et rend excessivement onéreuse l’exécution de son obligation.
C’est une balance des pertes et profits qui devra être faite pour établir le caractère excessivement onéreux de l’obligation résultant de la survenance des nouvelles circonstances.
A défaut de renégociation possible, la partie qui s’estime lésée pourra solliciter du juge la révision du contrat.
5. L’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi pour solliciter une renégociation des contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
Pour les contrats antérieurs au 1er octobre 2016, le principe de l’intangibilité des conventions exclut la révision pour imprévision par le juge.
Néanmoins, la jurisprudence a pu admettre que l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, prévue par l’ancien article 1134 du code civil, engendrait une obligation de renégociation du contrat en cas de circonstances imprévisibles bouleversant l’économie du contrat (cf. par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Paris 17 janvier 2020 qui a reconnu ce principe même si la Cour n’a pas admis l’existence de circonstances imprévisibles bouleversant l’économie du contrat dans cette espèce).