Dans un arrêt du 28 février 20181 , la 3e Chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’un fournisseur de béton, ayant donné des instructions techniques précises au poseur, qui ne connaissait pas les caractéristiques précises du matériau, doit être assimilé à un constructeur et non à un simple fournisseur de matériau.
La Cour de cassation a donc rejeté le pourvoi formé contre un arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse qui avait jugé que le fournisseur de béton avait engagé sa responsabilité au titre de l’article 1792 du Code civil.
Cet arrêt doit mettre en garde les fabricants et vendeurs de matériaux qui pourraient se croire à l’abri des obligations lourdes pesant sur les locateurs d’ouvrage au sens de l’article 1792-1 du Code civil.
I/ La distinction classique entre fabricant, locateur d’ouvrage et sous-traitant
Le fabricant ou fournisseur est lié par un contrat de vente avec son client, et à ce titre est tenu principalement d’une obligation de délivrance.
Le locateur d’ouvrage est quant à lui lié par un contrat d’entreprise avec son client, dénommé maître d’ouvrage ; il se charge d’effectuer pour l’autre partie un travail déterminé de « façon indépendante et sans représenter son cocontractant » 2 . Il est donc tenu d’une obligation de faire.
Cette distinction est également applicable au sous-traitant.
Défini à l’article 1 er de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, le contrat de sous-traitance implique qu’un contrat d’entreprise ait été conclu entre un locateur d’ouvrage et un maître d’ouvrage et que le locateur confie à un sous-traitant tout ou partie du contrat d’entreprise.
Le sous-traitant est donc tenu d’une obligation de faire, caractérisant sa participation réelle à l’exécution du contrat d’entreprise.
C’est sur cette base que la Cour de cassation a jugé que : « (…) la cour d’appel a, procédant à la recherche prétendument omise, souverainement retenu, que les pièces livrées constituaient de simples éléments de base de l’ouvrage édifié et a pu en déduire que la société ID construction était intervenue en qualité de fournisseur d’éléments métalliques à assembler sur un chantier, qu’elle n’était pas liée à la société Serit par un contrat de sous-traitance » 3 . En principe donc, à la différence d’un locateur d’ouvrage ou d’un sous-traitant, un fabricant ne rend pas un service et se contente de fournir un produit.
Il ne saurait donc être tenu par la garantie décennale édictée par l’article 1792 du Code civil. Toutefois, le fabricant, ou le fournisseur, est tenu d’une obligation de conseil4 qui, de fait, peut engendrer une certaine porosité entre sa qualité et celle de locateur d’ouvrage.
II/ L’obligation de conseil du fabricant : jusqu’où peut-il aller ?
L’obligation de conseil du fabricant comporte elle-même différentes obligations :
– « De se renseigner sur les besoins de l’acheteur5 .
– Soit d’accomplir certaines recherches, des études préalables (…), des démarches (…), voire d’adapter le matériel proposé à l’utilisation qui en est prévue6 .
– Soit de conseiller l’acheteur quant à l’opportunité même des décisions à prendre, c’est à-dire de lui indiquer la voie qui lui paraît la meilleure (…), de le pousser à l’adopter, donc de l’inciter ainsi que de le mettre en garde contre les risques graves de telle ou telle mesure7 . » 8
Cette obligation est toutefois considérée par la jurisprudence comme une obligation de moyen puisque « la bonne exécution du devoir de conseil ne dépend pas de son seul débiteur mais aussi du comportement du créancier » 9 .
L’obligation de moyen ne saurait être confondue avec une obligation de résultat pour laquelle la responsabilité du vendeur peut être engagée malgré les conseils qui auraient été prodigués, fussent-ils pertinents et étendus.
Dans l’arrêt commenté, le locateur d’ouvrage ne connaissait pas le matériau sophistiqué qui était fourni et avait donc une obligation de conseil particulière à l’égard du locateur d’ouvrage, notamment une obligation de le « guider dans la mise en œuvre du produit ».
Toutefois, la Cour de cassation a considéré que celui-ci avait dépassé son obligation de conseil jusqu’à devenir lui-même constructeur au sens de l’article 1792 du Code civil.
Paradoxalement, le Conseil d’Etat a dans le même temps conclu à la solution inverse, puisqu’il a rappelé dans un attendu de principe que « L’action en garantie décennale n’est ouverte au maître de l’ouvrage qu’à l’égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d’ouvrage » 10 .
Il semble néanmoins que la solution dégagée par la Haute juridiction civile traduise une véritable volonté jurisprudentielle puisque le 9 mars 2017 déjà, la Cour d’appel d’Aix-enProvence a jugé que « si le contrat qui a été conclu le 27 mai 2003 entre Monsieur et Madame M. et la société OCEA n’a pour objet que la fourniture des éléments pré-fabriqués constitutifs de la piscine, ainsi que de ses éléments d’équipement, et constitue un contrat de vente, la société OCEA a néanmoins exercé parallèlement une fonction de maîtrise d’œuvre lors des travaux de construction de la piscine ».
Cette fonction de maîtrise d’œuvre résultant notamment de « l’attestation de Monsieur M. [qui] caractérise suffisamment une mission de conception et de surveillance des dits travaux, avec des instructions précises données quant à l’implantation puis quant aux fondations à mettre en œuvre, indépendamment des mentions ambigües du procès-verbal de réception établi » 11 .
Conclusion :
Face à cette attitude des juridictions civiles, nous recommandons aux fabricants/fournisseurs d’accomplir avec prudence leur obligatoire de conseil, en veillant par exemple à rappeler par écrit (par courriel et/ou en le mentionnant expressément dans les CGV) que tout conseil apporté n’est attaché qu’à l’objet même de la vente ; qu’en aucun cas, un conseil ne peut être assimilé à une ou des obligations relevant de celles des constructeurs ; que le conseil apporté lors de la vente ne peut en aucun cas se substituer à la responsabilité de plein droit de l’applicateur.
1 Cass. Civ. 3e , 28 fév. 2018, n°17-15.962
2 Selon la définition traditionnelle de la Cour de cassation : Civ. 1 re, 19 févr. 1968, Bull. civ. I, no 69
3 Cass. Civ. 3e , 14 déc. 2010, n°10-10.312
4 Cass. Civ. 3e , 18 fév. 2004, n°02-17.523
5 Cass. Civ. 1ere , 30 mai 2006, n°03-14.275
6 Cass. Civ. 1ere , 7 avr. 1998, n°96-16.148
7 Cass. Civ. 1ere , 18 mai 1989, n°87-19.374
8 Philippe Le Tourneau, Responsabilité des vendeurs et fabricants, Dalloz Référence, 3e édition, p.74-75
9 François Xavier Testu, Contrats d’affaires, Dalloz Référence, Chapitre 12 – Qualité du consentement, p.20-21
10 CE 9 mars 2018, req. n°406205
11 CA Aix en Provence, 3e ch. B, 9 mars 2017, n°15/09649