La consultation publique ouverte depuis le 29 juillet 2022 sur l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, qui devait initialement se terminer le 18 novembre 2022, a finalement été prorogée au 15 janvier 2023[1].
Parmi les modernisations proposées dans cet avant-projet, figurent notamment des dispositions nouvelles quant aux articles 1641 à 1649 du Code civil, relatifs aux vices cachés.
Ces modifications correspondent d’ailleurs au cœur des modifications apposées au contrat de vente, comme l’explique Philippe Stoffel-Munck, président de la Commission chargée de l’élaboration dudit avant-projet et professeur à l’Université Paris I :
« Du côté des changements, en matière de vente, le régime de la garantie des vices de la chose vendue a beaucoup évolué. C’est une question centrale pour les professionnels.
On a unifié la garantie des vices et la responsabilité pour défaut de conformité de la chose. Les difficultés liées à une qualité ou à une caractéristique de la chose relèvent désormais du régime de vices, qu’ils soient apparents ou cachés.
S’agissant des vices cachés, on propose de modifier la jurisprudence en posant le principe que la présomption qui pèse sur le professionnel ne soit plus irréfragable comme la jurisprudence le prévoit. Cela deviendra une présomption qu’on peut renverser. »[2]
Au-delà de l’unification des régimes de défaut de conformité et des vices cachés, la fin de la présomption de la connaissance du vice par le vendeur professionnel interpelle tant il s’agit d’un principe bien établi par la Cour de cassation (cf. infra I/ et II/).
Elle peut avoir des implications très pratiques pour les professionnels (cf. infra III/).
I/ De lege lata :la présomption irréfragable de la connaissance du vice par le vendeur professionnel
A défaut de dispositions dans le Code civil relatives à la présomption de connaissance du vice par le vendeur professionnel, la Cour de cassation a résolu cette situation de longue date puisqu’elle juge : « le vendeur professionnel est tenu de connaître les vices de la chose vendue »[3].
Comme la doctrine le rappelle, il s’agit d’une jurisprudence extrêmement établie :
« Mais la jurisprudence a posé le postulat que le fabricant et le vendeur professionnel doivent connaître tellement bien les produits, objets de leur activité et du contrat, qu’ils sont nécessairement au fait de leurs défauts, ou sont tenus de les connaître.
Autrement dit, ils agissent de mauvaise foi lorsqu’ils vendent un bien infesté d’un vice. Inaugurée en 1954[4],la jurisprudence est depuis constante et innombrable »[5].
L’intérêt de cette jurisprudence pour les professionnels est double, elle permet :
- d’obtenir, outre la restitution du prix du bien vicié, les éventuels dommages et intérêts qui ont découlé de l’achat, conformément à l’article 1645 du Code civil (« Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. ») ;
- d’écarter les clauses limitatives de responsabilité : tout fabricant ou vendeur professionnel étant censé connaître les vices de la chose, ils sont réputés de mauvaise foi, ce qui est constitutif d’une faute lourde ou dolosive, rendant inopposables toute clause limitative de responsabilité [6].
II/ De lege ferenda :atténuation de la présomption de la connaissance du vice par le vendeur professionnel
Nonobstant cette jurisprudence établie, la Commission propose de modifier l’article 1642 du Code civil (lequel n’avait jamais été modifié depuis la promulgation du Code Napoléonien de 1804[7]) comme suit :
« Le vendeur est tenu des vices du bien vendu quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie.
Le vendeur professionnel est présumé, jusqu’à preuve du contraire, connaître ces vices. »
Il est donc prévu que le vendeur professionnel pourra désormais renverser la présomption irréfragable qui pesait sur lui.
La justification de la Commission est la suivante :
« Non-conformité et vices cachés étant englobés dans une même notion de « vice », il a fallu déterminer quel régime juridique appliquer à cette notion : le régime actuel de responsabilité des défauts de conformité, celui de la garantie des vices caché sou un régime hybride ?
La Commission a opté pour la 3ème solution, à savoir reprendre la présomption de connaissance des défauts par le vendeur professionnel, comme c’est le cas aujourd’hui en matière de vices cachés, mais sans retirer aux parties la liberté d’aménager voire d’écarter la garantie, comme c’est le cas aujourd’hui en matière de défauts de conformité.
Le régime prétorien de la garantie des vices cachés, qui pose une présomption irréfragable de connaissance des vices par le vendeur professionnel et l’interdiction de toute clause aménageant la garantie (sauf si l’acheteur est un professionnel de même spécialité), paraît en effet anachronique alors que la responsabilité du fait des produits défectueux bénéficie à tous, que l’acheteur consommateur est protégé par le Code de la consommation et que les articles 1170 (applicable dans tous les contrats) et 1171 du Code civil ou L. 442-1 du Code de commerce fixent déjà des limites raisonnables à la liberté contractuelle. »[8]
Ainsi, l’objectif suivi par la Commission est d’harmoniser les règles entre la garantie des vices cachés etles défauts de conformité autour d’une même notion de « vice »
III/ Les implications très pratiques pour les professionnels
Comme évoqué ci-avant (cf. supra I/), la possibilité de renverser la présomption pesant sur le vendeur professionnel ou le fabricant a pour conséquence l’éventuelle possibilité pour l’acheteur du bien vicié ne pas pouvoir obtenir l’allocation de dommages et intérêts et la possibilité qu’on puisse lui opposer des éventuelles clauses limitatives de responsabilité.
La Commission ne détaille pas comment une telle présomption pourrait être renversée mais la jurisprudence nous apporte toutefois des enseignements.
C’est ainsi qu’une Cour d’appel avait estimé qu’il n’était pas démontré qu’un artisan maçon, uniquement âgé de 23 avait des compétences suffisantes, « pour assurer seul la construction d’une maison d’habitation, avec ses fondations, ainsi que celle des murs de soutènement, dans les règles de l’art et qu’il ne peut être considéré comme un technicien du bâtiment ayant vendu un immeuble après l’avoir conçu ou construit » de sorte que celui-ci ne pouvait être assimilé à un vendeur professionnel et qu’ainsi la clause limitative de responsabilité devait s’appliquer.
La Cour de cassation avait cassé cet arrêt, estimant que ledit artisan devait être assimilé à un vendeur professionnel[9].
On peut donc se demander si avec la modification opérée par la Commission, un tel arrêt serait cassé par la Cour de cassation ou si au contraire, elle confirmera les arrêts de Cour d’appel ayant déterminé in concreto si le vendeur professionnel disposait bien de tous les moyens et compétences nécessaires pour être défini comme tel.
Naturellement, les modernisations proposées sont uniquement au stade de projet nous veillerons aux suites qui seront données par la Chancellerie.
[1]http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation.html
[2]https://www.dalloz-actualite.fr/interview/reforme-du-droit-des-contrats-speciaux
[3]Cass. Civ. 2e, 30 mars 2000, no 98-15.286 , Bull.civ. II, no 57 ; RDI 2000. 349, Ph. Malinvaud ;voir également Com. 10 mai 2000, n°97-17.472 et Cass. 3e, 15 sept.2016, n° 15-21.387
[4] Cass. Civ. 24 nov. 1954, n°54-07.171, Bull.civ I, n°338
[5] Dalloz Action – Droitde la responsabilité et des contrats – régimes d’indemnisation, 2018-2019,§3363.330, p.1955,
[6] Civ. 3e, 27 sept. 2000,n°99-10.297
[7] L’article1642 applicable à ce jour dispose : « Le vendeur n'est pastenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même »
[8] Avant-projet de réformedu droit des contrats spéciaux – projet commenté pages 34 et suivantes
[9] Cass. 3e, 15 sept.2016, n° 15-21.387